Sauvegarder la mémoire familiale : vers la rematérialisation ?
De nos jours, la grande majorité des données que nous conservons existe uniquement au format numérique. La question de la sauvegarde de ces données est d’ailleurs un sujet d’actualité dans de nombreux domaines. Et c’est un sujet d’autant plus important en généalogie dans la mesure où il ne s’agit pas seulement de conserver nos données le plus longtemps possible, mais également de les transmettre aux générations futures, qu’il s’agisse du fruit de nos recherches ou de nos souvenirs de familles.
Pérenniser la sauvegarde de nos données
Très souvent, ces données, qui peuvent pourtant être dupliquées à l’infini, ne sont sauvegardées que sur quelques supports : sur notre ordinateur et sur un (ou plusieurs) disque(s) externe(s). Cependant, les risques de perte ou de « crash » de disque dur, ou encore de suppression involontaire de données sont très élevées à l’échelle d’une vie. Il semble donc judicieux de s’appuyer sur les possibilités offertes par les espaces de stockage en ligne comme les clouds.
Il n’est donc pas étonnant que ce sujet de la sauvegarde de nos données personnelles ait eu une part importante lors des conférences du salon généalogique RootsTech, qui s’est tenu début février à Salt Lake City.
De nombreuses solutions de sauvegarde ont été évoquées durant le cycle de conférences du Rootstech. La quasi-totalité d’entre-elles se base sur des solutions de stockage sur des serveurs externes, notamment :
- sur des sites spécialisés, tels que « Saving Memories Forever » (primé à l’Innovator Summit) où l’on peut enregistrer et sauvegarder ses mémoires familiales ;
- sur les réseaux sociaux où l’on peut déposer ses photos et souvenirs de famille ;
- sur des blogs où l’on peut raconter son histoire personnelle.
Les sites de stockage « pour l’éternité »
Comparées aux solutions de stockage traditionnelles (ordinateurs et disques durs externes), ces solutions présentent l’avantage d’éviter la perte de données suite à des avaries matérielles et de rendre ces données accessibles sur Internet à nos proches et à nos descendants. Le concept sur lequel se basent ces solutions est intéressant au premier abord, mais il faut néanmoins le considérer avec prudence.
En effet, l’histoire d’Internet nous a déjà montré de nombreux exemples de sites très en vogue à leur époque qui ont périclité très rapidement et qui sont devenus quasiment inconnus de nos jours. On peut citer les exemples d’Altavista (moteur de recherche) et de Netscape Navigator (navigateur Web) qui ont été de véritables références il y a une vingtaine d’années.
De façon plus générale, on peut constater le décalage entre les échelles de temps généalogique et technologique : le « long-terme » des nouvelles technologies (environ une décennie), est bien inférieur au simple « court-terme généalogique » (de l’ordre du siècle).
Dans ces conditions, il est donc difficile de croire les promesses de ces sites qui nous promettent de sauvegarder nos mémoires « pour l’éternité », sachant qu’il n’est même pas certain qu’ils existeront encore dans dix ou vingt ans.
Réseaux sociaux, blogs et partage de vidéos en ligne
Parmi les solutions proposées pour transmettre les souvenirs de famille à nos descendants, la question des réseaux sociaux a également été évoquée. L’article « Facebook is Family History » publié sur le blog de Family Search semble assez bien résumer l’état d’esprit général. En résumé, il est conseillé de publier notre histoire personnelle et nos souvenirs de famille sur Facebook pour permettre aux générations futures de découvrir nos vies.
Ce conseil est tout à fait surprenant, dans la mesure où Facebook ne s’est jamais engagé à sauvegarder les données stockées par ses utilisateurs ad vitam æternam. Par ailleurs, l’utilisateur qui confie ses données à Facebook donne au passage l’autorisation à cette entreprise de les réutiliser à sa guise.
Pour faire un parallèle avec le stockage dans le monde réel, c’est un peu comme déposer ses objets de valeurs dans un entrepôt qui peut fermer et s’en débarrasser du jour au lendemain, voire se les approprier et les revendre, sans même avoir besoin de notre accord.
Dans ces conditions, il ne me semble pas judicieux d’opter pour cette solution pour transmettre des informations à nos descendants.
Bien sûr, il en va de même pour les plateformes d’hébergement de blogs (comme Blogger, Overblog, etc.) ou les services de partage de vidéos (comme Youtube ou Dailymotion).
La sur-abondance de données
Par ailleurs, l’utilisation de Facebook (et plus largement des réseaux sociaux) pour sauvegarder son histoire personnelle soulève également une autre problématique : la sur-abondance d’informations.
En effet, étant donné la grande quantité d’informations qu’un utilisateur peut publier jour après jour sur ces réseaux, on peut se demander comment nos descendants pourront exploiter la masse d’informations accumulées au cours d’une vie. Même en y consacrant beaucoup de temps, il leur sera difficile de retrouver les informations les plus importantes de notre vie : les moments de joie et de peine que l’on traverse et nos réels sentiments face à ces situations.
Il apparait donc qu’une synthèse des informations et des documents que nous souhaitons transmettre est nécessaire, et qu’elle ne peut pas se faire à travers les réseaux sociaux.
Remarque : depuis une vingtaine d’années, les mails ont remplacé les cartes postales et les lettres, et la majorité des photos numériques ne sont jamais développées. On peut légitiment se demander quels souvenirs nous laisserons à nos descendants. Il y a un an, j’avais déjà abordé cette thématique (toujours d’actualité) dans cet article : S comme Souvenirs.
Vers la rematérialisation ?
Finalement, en cette époque de dématérialisation massive, je ne vois pas de solution plus fiable pour sauvegarder nos mémoires familiales et le fruit de notre travail généalogique que la rematérialisation de nos données. En effet, nous manquons beaucoup trop de recul sur la pérennité des données sur Internet pour pouvoir faire confiance à tous les sites qui nous proposent de sauvegarder nos données « pour toujours ». En l’état actuel, les supports matériels restent donc selon moi les supports les plus fiables pour résister à l’épreuve du temps.
Il me semble donc important de chercher à repasser nos données numériques sur des supports physiques : imprimer nos photos de famille, nos documents et courriers importants, notre arbre généalogique, les notices que nous écrivons sur nos ancêtres, nos articles de blogs, etc. C’est d’ailleurs pour cette raison que je me suis lancée dans la rédaction de mon histoire familiale : pour transmettre le fruit de mes recherches généalogiques à ma famille et aux générations futures, et que mes données ne restent pas uniquement au format numérique.
Cette solution de conservation des données présente de plus l’avantage de nous forcer à opérer une synthèse des données que nous souhaitons conserver et transmettre aux générations futures. Puisque nous ne pouvons pas imprimer toutes nos photos ou tous nos mails, il nous faudra faire une sélection et nous demander ce qui est réellement important et ce que nous souhaitons réellement transmettre.
De plus, cette rematérialisation n’empêche aucunement de sauvegarder par ailleurs ses données sur un serveur distant sécurisé.
Elise