Ce que nos ancêtres ont fait après l’Armistice de 1918
Et souvent, on pense peu à la période suivant l’Armistice pour les soldats, un peu comme si ils étaient passés directement de la guerre dans les tranchées, au retour à la vie normale et à la reconstruction.
Pourtant la réalité est bien différente : l’Armistice a été suivi par une longue période de transition, souvent assez difficile à vivre pour nos ancêtres. En retraçant le parcours de nombreux soldats, j’ai pu constater que la grande majorité n’avait été démobilisée que plusieurs mois après l’Armistice, dans le courant de l’année 1919 : certains dès le début de l’année, mais pour d’autres quasiment un an après l’Armistice. Et j’ai voulu savoir ce qu’ils avaient pu vivre pendant cette période.
Armistice = Fin de la Guerre ?
En effet, si l’Armistice était signé, la guerre n’était pas terminée pour autant : la paix entre l’Allemagne et les alliés n’a été signée que le 28 juin 1919, avec le Traité de Versailles.
En novembre 1918, les soldats devaient donc rester mobilisés car il fallait s’assurer que les conditions de l’Armistice étaient respectées : dans un premier temps, les soldats alliés devaient accompagner la sortie du territoire des troupes allemandes, tout en reprenant possession des territoires occupées et annexés. Puis l’Armistice prévoyait l’occupation des Pays Rhénans par les troupes alliées.
Ces opérations ont pris du temps et la démobilisation des soldats n’a donc commencé qu’à la toute fin de l’année 1918. Par ailleurs, le gouvernement français avait décidé d’échelonner la démobilisation des soldats, en fonction de leur classe d’âge, pour que tous les soldats ne soient pas libérés en même temps. Et cette façon de faire prenait du temps parce que dès qu’une classe d’âge était libérée, il fallait réorganiser tous les régiments. La démobilisation s’est donc étalée sur plusieurs mois.
Qu’ont-ils fait pendant cette période : l’exemple de mes arrières-grands-pères
En m’intéressant au parcours de mes arrières-grands-pères pendant la Grande Guerre, j’ai cherché à savoir ce qu’ils avaient pu vivre pendant cette période.
Au moment de l’Armistice, mon arrière-grand-père Henri Lenoble était prisonnier depuis un peu plus de 5 mois dans le camp de Langensalza, en Thuringe. Les prisonniers de ce camp n’ont pas été libérés dès la signature de l’Armistice. Ce camp est d’ailleurs connu, car il a été le lieu d’un drame survenu plusieurs jours après l’Armistice : le 27 novembre, des prisonniers français (entre autres) ont été fusillés par leurs gardiens alors qu’ils récupéraient le bois des baraques pour pouvoir se chauffer.
Remarque Pour retracer le parcours militaire de vos ancêtres, le mieux est de commencer par télécharger le livret Comment retrouver une fiche de matricule militaire.
Henri Lenoble a été rapatrié d’Allemagne le 9 décembre 1918, mais il n’a pas été démobilisé pour autant. Après une permission de 30 jours, il a rejoint le 106e Régiment d’Infanterie qui était alors stationné à Wissembourg, avec pour mission de surveiller la frontière entre l’Alsace et le Palatinat.
Appartenant à la classe 1899, Henri Lenoble est démobilisé le 10 février 1919, dans le 2e échelon de démobilisation. Il peut alors retrouver sa femme et ses 3 fils et reprendre son travail de clerc de notaire.
Mon autre arrière-grand-père paternel, Emile Blanchard, était lui aussi prisonnier au moment de l’Armistice. Il avait été fait prisonnier en juin 1916, et était donc depuis 2 ans et demi dans le camp de Hammelburg, en Bavière. Il n’est rapatrié en France que le 26 décembre 1918.
En février 1919, il est affecté au 94e Régiment d’Infanterie, qui est alors stationné au Nord de l’Alsace, le long du Rhin (face à Baden-Baden et Rastatt). Emile Blanchard est démobilisé le 10 juillet 1919 avec le 7e échelon de démobilisation. Il peut alors retourner à Fleury sur Aire, où il travaillait avant la guerre, et préparer son mariage, quelques mois plus tard, avec sa fiancée (mon arrière-grand-mère).
Du côté de ma mère, mon arrière-grand-père Georges Cordelette était affecté au dépôt du 1er Régiment d’Infanterie Coloniale au moment de l’Armistice. Sortant de convalescence d’une blessure à la jambe, il reste au dépôt et ne rejoint pas le régiment qui est alors stationné à Novi Sad où il fait partie des troupes d’occupation de la Hongrie. Il reste au dépôt jusqu’à sa démobilisation le 17 avril 1919, avec le 4e échelon de démobilisation. Il rejoint alors sa femme, restée dans la Marne avec ses parents, puis ils s’installent à Guise.
Enfin, mon 4e arrière-grand-père, Jean-Marie Cantat, a eu un parcours un peu différent puisqu’il n’a pas été mobilisé pendant la guerre : il n’a pas pu être recensé avec sa classe, en 1916, car il se trouvait alors en zone occupée. Sa mobilisation n’a donc commencé qu’après l’Armistice : il est incorporé au 105e Régiment d’Infanterie le 19 février 1919. Je ne sais pas exactement quelles étaient les missions de son régiment à cette période (les Journaux de Marches et Opérations et les Historiques de ce régiment s’arrêtent net au 11 novembre 1918), mais il semblerait qu’il était alors stationné à proximité de Mayence et de Francfort, dans le cadre de l’occupation des Pays Rhénans.
Il est démobilisé le 1er septembre 1919, avec le 9e échelon de démobilisation.
Mieux comprendre la sortie de guerre
Au final, la période suivant l’Armistice est une période à laquelle on s’intéresse peu car elle est souvent mal connue. Mais pour beaucoup de soldats, qui n’attendaient que de pouvoir rentrer chez eux, cela a été une période d’attente assez difficile.
Pour mieux comprendre cette période de sortie de guerre, je ne peux que vous recommander le livre La Victoire endeuillée de Bruno Cabanes. C’est un livre qui m’a permis de mieux comprendre ce qu’ont pu vivre nos ancêtres pendant ces mois oubliés des livres d’histoire classiques. Il met particulièrement l’accent sur le moral des soldats pendant cette période (en se basant sur des écrits d’époques), et sur les sentiments éprouvés par beaucoup de soldats :
- des sentiments de culpabilité d’être saufs alors que tant de leurs camarades n’avaient pas survécu ;
- une sensation d’inutilité, de devoir rester dans des casernes alors qu’ils pourraient rentrer chez eux et travailler pour aider leur famille ;
- et aussi une appréhension du retour à une vie « normale » pour laquelle ils ne se sentaient plus toujours adaptés.
Elise