La Première Guerre Mondiale dans les Colonies Françaises
Lorsque l’on évoque le rôle des colonies dans la Grande Guerre, on parle souvent des Régiments de Tirailleurs venus combattre sur le Front, en métropole.
On entend plus rarement parler des opérations militaires qui ont eu lieu dans les colonies elles-mêmes pendant la Première Guerre Mondiale.
Si je m’intéresse à ce sujet, ce n’est pas tout à fait par hasard. En effet, en 1914, mon arrière-grand-père était sergent dans le Régiment Indigène du Tchad, qui était alors basé à Fort-Lamy (devenue depuis N’Djamena, la capitale du Tchad). C’est en faisant des recherches sur son parcours que j’ai voulu en savoir plus sur les évènements de la Première Guerre Mondiale dans les colonies, et en particulier en Afrique Equatoriale Française (AEF).
La situation dans les colonies au moment de l’entrée en guerre
En 1914, la colonisation est encore en plein essor et il existe de nombreuses tensions entre les puissances européennes pour le partage des territoires. Heureusement, ces tensions sont généralement réglées par des traités qui évitent d’entrer en conflit. Les frontières de l’Afrique Equatoriale Française ont ainsi été modifiées à peine quelques années auparavant avec un traité signé en novembre 1911 entre la France et l’Allemagne.
Afin que l’Allemagne renonce à sa présence au Maroc, différents territoires proches de l’AEF sont alors abandonnés par les Français et rattachés au Cameroun allemand. Il existe donc là une zone de conflit potentiel avec l’Allemagne en cas d’entrée en guerre car la nouvelle emprise du Cameroun entraîne la désorganisation des communications de l’AEF.
Il faut noter qu’au déclenchement de la guerre, l’offensive dans les colonies ne vient pas des Allemands, mais des troupes Alliées qui refusent la neutralisation des territoires coloniaux. Toutefois, les colonies allemandes sont assez peu militarisées.
Dès le début de la Guerre, les Alliés prennent donc rapidement possession d’une bonne partie des colonies allemandes. La conquête du Cameroun par les armées françaises et britanniques est l’une de celles qui prit le plus de temps, ne s’achevant qu’en février 1916.
A propos de la défense des colonies allemandes en 1914, je vous conseille de lire ce passionnant article paru dans la Revue Historique des Armées.
Les soldats français dans les colonies
En 1914, de nombreuses troupes françaises sont donc stationnées dans les colonies. En Afrique Equatoriale Française, le rôle des troupes d’infanterie coloniale est alors principalement d’explorer et de pacifier les territoires qui viennent d’être conquis. Au Tchad, notamment, il reste à ce moment de nombreuses zones inexplorées, comme les massifs du Borkou et du Tibesti.
Remarque Pour retracer le parcours militaire de vos ancêtres, le mieux est de commencer par télécharger le livret Comment retrouver une fiche de matricule militaire.
Il est difficile de s’imaginer ce qu’ont pu ressentir les expatriés français au moment de l’annonce de l’entrée en guerre.
A cette époque, en effet, les communications avec la métropole sont peu nombreuses. Les militaires français ne reçoivent leur courrier et les journaux que deux fois par mois, et lorsqu’ils arrivent, ceux-ci sont généralement vieux de plus d’un mois.
Grâce à Gallica, j’ai retrouvé un document très intéressant écrit par Jean Tilho qui était alors chef de bataillon dans le même régiment que mon arrière-grand-père. Il y raconte comment les Français stationnés à Faya, en plein désert Tchadien, ont appris l’entrée en guerre. Ceux-ci avaient reçu le 29 juillet des journaux dont les nouvelles les plus fraîches étaient l’assassinat de l’archiduc héritier d’Autriche.
Quatre jours après, le 3 août au matin, le tirailleur de service au poste de T.S.F., en communication permanente avec Fort-Lamy, capitale du territoire du Tchad, apportait placidement un télégramme extérieurement semblable aux autres, mais dont la lecture produisit l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel serein : « Ordre de mobilisation générale… Au territoire, chacun reste à son poste. » (Jean TILHO, « Sur le front du désert libyque », Je sais tout, 15 janvier 1918)
Pour mon arrière-grand-père et ses compagnons, le plus dur, à ce moment là, est certainement de ne pas savoir vraiment ce qui se passe en France : les nouvelles sont sporadiques et rarement rassurantes. Mais pour eux, la vie doit continuer comme avant.
Au Sahara, on est perpétuellement mobilisé ! Ce n’est donc pas à eux-mêmes que les « Africains » de Faya pensèrent d’abord : ils pensèrent à la France, à ce qui devait en ce moment se passer là-bas sur toute l’étendue du sol sacré… (Jean TILHO, « Sur le front du désert libyque », Je sais tout, 15 janvier 1918)
Mon arrière-grand-père pense alors certainement à ses 6 frères, tous en âge d’être mobilisés (le plus jeune ayant alors tout juste 20 ans), à ses parents et à sa fiancée, si proches des zones de combat. Outre l’inquiétude de savoir leurs familles en danger, les militaires français souffrent également de leur impuissance à aider leurs compatriotes partis au front.
Ce sentiment d’impuissance est exprimé dans cette carte postale écrite par mon arrière-grand-père à destination de l’un de ses frères.
Tu as fait connaissance avec ma nouvelle famille. Tu me dis que tu as souvent le cafard là-bas, mais crois bien qu’ici, nous l’avons souvent aussi. Être privé de tout et en plus ne pas pouvoir aller délivrer les vieux de ces chacals, ça semble dur. Enfin espoir ! ça viendra peut-être un jour. Au revoir je t’embrasse bien fort. Ton frère qui t’aime et pense à toi.
Ce sentiment explique en partie pourquoi la conquête du Cameroun allemand a revêtu une telle importance pour les armées coloniales alliées. Mon arrière-grand-père, pour sa part, n’a vraisemblablement pas participé à ces combats. En 1914 et 1915, il se trouve en effet stationné à Faya avec un détachement dont le but est d’explorer les régions désertiques du Borkou et du Tibesti, dans le nord du Tchad.
Les conditions de vie dans les colonies pendant la Première Guerre Mondiale
Lorsque l’on pense aux conditions de vie pendant la Première Guerre Mondiale, on pense immédiatement aux tranchées, à la boue, au froid et aux obus. Évidemment dans les colonies, les conditions sont bien différentes.
En 1914, les missions principales des troupes coloniales présentes en AEF sont d’occuper pacifiquement le territoire et d’assurer la police intérieure. Ils ne sont donc pas spécialement équipés pour combattre : ils manquent de matériel et d’armement, mais aussi de personnel médical. Les moyens de transport et de communications sont également peu adaptés.
La lecture des Journaux des Marches et Opérations (JMO) donne des aperçus assez « exotiques » des conditions de vie en Afrique Equatoriale Française : les troupes doivent traverser les fleuves sur « des pirogues indigènes », ils redoutent la saison des tsé-tsé qui peuvent s’avérer redoutables pour les chevaux, …
La route a été bien tracée mais pas entretenues depuis longtemps ; elle a fort souffert des pluies. L’hivernage est maintenant établi ; il pleut presque tous les jours. Les nombreux mayos (ndt : cours d’eau) que nous coupons commencent à couler ; dans quelques semaines, certains d’entre eux seront difficilement franchissables. La saison n’est pas assez avancée pour que les tsé-tsé rendent le passage des chevaux difficile, mais il faut prévoir un déchet sérieux dans l’escadron lorsqu’il devra revenir en arrière.
Même si les combats ont été moins meurtriers que sur le front métropolitain, la conquête du Cameroun a fait un certain nombre de victimes. Pour le Régiment Indigène du Tchad, toutes les victimes (tués, blessés et disparus) sont indiquées dans les JMO, aussi bien les officiers et sous-officiers français que les tirailleurs originaires des pays colonisés.
J’ai recherché sur Mémoire des Hommes, les victimes citées dans ces JMO mais très peu d’entre eux semblent avoir reçu la mention « Mort pour la France » : je n’y ai trouvé que quelques officiers français, mais aucun des sous-officiers et surtout aucun des tirailleurs. Pourtant même loin de la métropole, c’est bien pour la France qu’ils se battaient, et pour la France qu’ils sont morts.
Quant aux expatriés coloniaux, beaucoup d’entre eux ont quand même fini par connaître le front. Cela a été le cas de mon arrière-grand-père. En 1917, il est rapatrié, malade, à l’hôpital de Marseille. Après une période de convalescence (dont il profite pour épouser mon arrière-grand-mère), il rejoint le Régiment d’Infanterie Coloniale du Maroc sur le front en décembre 1917.
Elise