Le généalogiste et son histoire familiale : historien ou romancier ?
Lorsque nos recherches généalogiques ont bien avancé et que nous souhaitons écrire sur nos ancêtres, deux voies s’offrent à nous :
- celle du généalogiste historien qui raconte la vie de ses ancêtres telle qu’il peut la découvrir à travers les documents d’archives et l’histoire locale ;
- et celle du généalogiste romancier qui enrobe la vie de ses ancêtres d’une couche de récit imaginaire (qui reste toutefois réaliste et basé sur les faits historiques).
J’ai une grande prédilection pour la première forme de récit (l’histoire), mais j’aurais très bien pu me laisser tenter par la seconde (le roman).
En effet, depuis mon enfance, j’ai toujours aimé écrire. A un moment donné, j’ai même rêvé de devenir écrivain et d’écrire des romans. Mais je n’ai jamais concrétisé l’idée, en voyant le temps nécessaire pour mettre en place le décor, inventer les personnages, dérouler l’intrigue, et faire toutes les recherches de contextualisation pour que l’histoire soit vraisemblable et ancrée dans un univers réel. Un peu plus tard, j’ai été happée par une nouvelle passion : la généalogie ! En voyant ces vies se mettre en place sous mes yeux, ces décors qui existaient déjà, ces ébauches d’intrigues qui se dessinaient, j’ai parfois été tentée d’écrire des histoires en m’inspirant de la vie de mes ancêtres.
Pour raconter l’histoire de ma famille, j’ai cependant choisi la voie du récit historique. Voici pourquoi.
Faut-il romancer pour donner du corps à son récit ?
L’envie de romancer vient de la difficulté du récit familial : la matière de base du récit, ce sont des noms, des lieux et des dates. De ce fait, il y a, de base, assez peu à dire sur nos ancêtres, et on peut avoir l’impression que ce ne sera pas suffisant pour alimenter son récit.
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Pourtant, les éléments à notre disposition sont nombreux. Je l’ai déjà évoqué dans cet article sur les ancêtres « invisibles ». J’en suis d’autant plus convaincue maintenant que j’ai lu « Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot« , de l’historien Alain Corbin, qui retrace, en 280 pages, la vie d’un simple sabotier de l’Orne qui n’a jamais fait parler de lui.
Faut-il romancer pour intéresser ses lecteurs ?
Romancer son récit familial est une façon de le rendre plus vivant et plus intéressant pour le lecteur. Les manières de romancer que l’on rencontre le plus souvent sont les suivantes :
- Imaginer les sentiments des protagonistes ;
- Raconter l’histoire à la première personne ;
- Imaginer une lettre écrite ;
- Scénariser un évènement, en ajoutant des dialogues ou des détails supplémentaires.
Ces types d’écriture sont souvent considérés comme les plus intéressants pour le lecteur puisqu’ils se rapprochent de ceux que nous avons l’habitude de lire (notamment dans les romans). Cependant, il est possible d’intéresser le lecteur sans avoir à romancer et en se basant uniquement sur des faits avérés.
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J’en prends encore une fois pour preuve le livre d’Alain Corbin qui arrive à captiver le lecteur sur 280 pages, sans jamais avoir à romancer, sans jamais se détacher de faits historiques avérés.
Faut-il romancer pour lier nos ancêtres à la « Grande Histoire » ?
Lorsque l’on écrit l’histoire de sa famille, il est tentant de vouloir lier l’histoire de ses ancêtres à la « Grande Histoire », pour donner des repères connus aux lecteurs et pour ajouter un peu de contenu au récit.
Or, la vie de nos ancêtres était généralement bien éloignée des préoccupations politiques et leur lien avec l’Histoire de France était généralement très indirect. Et à moins de retrouver des archives les mentionnant explicitement, il sera bien difficile de connaître leurs sentiments face aux évènements dont ils ont pu être témoins.
Pourtant, il est possible de donner un contexte historique avéré à la vie de ses ancêtres en se référant à l’histoire locale.
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Ceci ne demande pas forcément plus de recherches, mais des recherches différentes (et certainement plus de déplacements aux Archives Départementales, même si Internet fournit de plus en plus de ressources d’intérêt très localisé). Bien sûr, la plupart du temps, il ne sera pas possible de savoir précisément comment nos ancêtres ont vécu ces évènements, mais ils permettront d’en savoir plus sur leurs conditions de vie.
D’autre part, il est possible d’évoquer la Grande Histoire comme point de référence à son récit, mais sans chercher à y lier forcément son ancêtre (voir par exemple le récit de la vie de Sophie David, sur le blog de Brigitte).
Finalement, faut-il romancer son histoire familiale ?
Le fait de romancer son histoire familiale n’est jamais anodin. En effet, toutes les manières de romancer ont un point commun : elles insèrent dans le récit un contenu non avéré qui provient de l’imagination de l’auteur.
Or, si des éléments sont ajoutés, le lecteur doit pouvoir déterminer quelle part du récit est avérée et quelle part est imaginée. C’est un élément essentiel du pacte avec le lecteur.
Si l’on choisit de romancer une partie de son histoire familiale, il faut donc que tout soit clair pour le lecteur dès le départ :
- en choisissant le titre de son récit ou en écrivant un petit avant-propos, à l’exemple d’Evelyne lorsqu’elle nous raconte sa rencontre imaginaire avec son grand-père ;
- en proposant plusieurs versions de son récit : une version « brute » et une version romancée, afin que le lecteur puisse facilement faire la part des choses, à l’exemple de Chantal lorsqu’elle nous raconte la vie de son ancêtre Jean Perier ;
- en insérant des notes pour préciser les éléments avérés.
Ainsi, dès le départ, le cadre est placé : le lecteur sait que tout ne sera pas factuel et le pacte avec le lecteur est respecté.
Elise